Drame- VO
De Robin Campillo. Avec Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel. France. 2017. 140 min. (13 +)
Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean.
À propos du film, par David Lamontagne, professeur de cinéma au Collège Montmorency
120 battements par minute se présente loin de la norme et du convenu de faire lorsqu’il s’agit de mettre en scène un sujet sensible. C’est intelligent, bouleversant et sans concession. Pas étonnant qu’il a remporté le César du film de l’année et un Grand prix à Cannes où le film a énormément fait parler. C’est que sa constitution formelle est solide et sa tenue très adroite. En son sein un cœur qui bat à une vitesse folle et des parties qui se consument en laissant derrière la charge vitale d’existences laissées pour compte dans un contexte où l’on croyait pourtant que tout était possible.
Le sida et son traitement est un enjeu qui a été abordé quelque fois au cinéma. Le plus souvent avec une certaine retenue, beaucoup d’empathie et un regard plutôt distant du sujet. Pour certain spectateur qui ont accepté de se confronter à ces représentations d’un réel tragique, cela peut parfois être de l’ordre de l’abject ou de cet autre qui est responsable de son sort. D’où le ton précautionneux de la mise en scène. Ce qui n’est pas le cas ici avec ce film fait dans l’urgence pour ce qui est de l’esprit et dans l’excès en abordant chacun des aspects de ce sujet critique.
Les scénaristes ont choisi comme élément central la mobilisation devant l’incapacité (et la volonté) de la société et des organismes de recherche médicale à faire face au fléau du sida. On y voit des forces vives qui s’organisent et tentent de lutter dans une certaine indifférence de la population. Ils sont portés par l’énergie du désespoir et l’engagement qui transcende la simple survie individuelle.
Le film commence à fond de train dans une assemblée de militants pourtant solidaires d’une même cause, celle du traitement du sida, qui s’entredéchire sur la manière de se faire entendre. L’échange est franc et la parole citoyenne sans concession. Dans la salle, la caméra capte avec un montage habile des reaction shot révélateurs et des regards qui cherchent l’approbation. Plutôt qu’être simplement au service du récit, ce procédé attire notre attention sur l’enjeu qui divise où il devrait réunir. La structure générale elle-même, qui amène le collectif vers l’intimiste, progresse avec sa charge pour faire résonner des questionnements qui vont au-delà du sujet traité. Comment se positionner de manière efficace collectivement lorsque la réalité individuelle se délite de la masse.
Par ailleurs, quel beau titre que ce 120 battements par minute. On fait référence à la musique très rythmée qui apparait dans certaines scènes en écho à l’existence des personnages et de leur besoin de s’évader, évidemment. C’est peut-être aussi la passion et l’impression du dépassement du raisonnable et de la norme. Pour ça, le film fait dans l’excès justifié et justifiant les écarts de conduite qui pourraient être déraisonnés.
Le réalisateur Robin Campillo a déjà collaboré avec Laurent Cantet (Entre les murs, Vers le sud, L’emploi du temps) et on sent un intérêt semblable pour la déconstruction d’un sujet particulier que ce soit le militantisme ici ou l’éducation ou la culture d’entreprise pour le ramener vers l’universel. Sans chercher à faire documentaire ou naturaliste à outrance, la façon d’aborder chaque microcosme pour nous faire adhérer à une forme de vérité sans concession communique un certain plaisir. Le reste est affaire de personnage et de jeu. Puis de signification profonde.
Il ne s’agira donc pas de connaitre ou de s’intéresser à Act up, ce mouvement du début des années 90 en France, pour prendre plaisir à ce film. Il faut s’intéresser aux sujets dont la résonance transcende sa particularité pour se ramener à sa propre dignité. En plus, c’est du très beau cinéma.