Drame, fantaisie- VO

De Ian Lagarde Avec Richard Jutras, David La Haye, Ludovic Berthillot, Yaite Ruiz, Sylvio Arriola. Cuba-Canada (Québec). 2018. 85 min. (En attente de classement)


À l'hôtel El Palacio, un tout-inclus des caraïbes, Mike n'a d'yeux que pour le buffet à volonté. Son appétit vorace, un magnétisme mystérieux et d'étranges petits gestes miraculeux attirent les curieux, parmi lesquels il se fait une panoplie d'amis, d'admirateurs et de complices, ainsi qu'un ennemi jaloux et encombrant. Ces derniers l'accompagneront dans une descente gargantuesque mêlant débâcle sociale et intime; une métamorphose étrange soutenue par le meilleur service à la clientèle du monde.


À propos du film par Guillaume Massie-Hamel

All You Can Eat Buddha, l’allégorie du Buddha contemporain

Dès son arrivée dans un tout inclus paradisiaque, Mike attire l’attention des autres touristes et des employés de l’établissement par son appétit démesuré et son charisme mystérieux. Rapidement, le grand homme occupera une place importante dans l’écosystème étrange de l’endroit, mais autant le personnage que le lieu seront confrontés à une menace dormante. Rares sont les films québécois aussi inventifs et audacieux que le premier long-métrage d’Ian Lagarde : All You Can Eat Buddha. Le réalisateur nous propose une allégorie du Buddha contemporain à travers une esthétique déjantée.

Que ce soit une femme de ménage qui offre des dessins phalliques au protagoniste, une scène de cannibalisme spontané ou un ménage à trois dans lequel une pieuvre s’invite, rien n’est trop farfelu pour cet univers. Ces scènes provocatrices et parfois même rebutantes témoignent d’un désir de déstabiliser le spectateur, chose qui se fait rare dans un cinéma québécois trop souvent convenu.

All You Can Eat Buddha semble trouver sa source dans des films aux origines variées, allant de Next Floor (Denis Villeneuve) pour sa critique de la consommation à travers des scènes de festins décadents, au cinéma de l’Amérique latine pour son traitement poétique d’évènements politiques, comme la tempête symbolisant la révolution de façon similaire à l’inondation symbolisant la montée du totalitarisme dans Le Voyage (Fernando Solanas), en passant par le cinéma expérimental pour ses techniques de montage comme la superposition d’images et la distorsion du son. Ces similitudes aux provenances hétéroclites démontrent qu’il est difficile de catégoriser ce long-métrage. Ian Lagarde a su créer un objet véritablement unique.

Les personnages qui meublent ce monde absurde sont colorés et imprévisibles, même s’ils correspondent à des archétypes (le touriste américain, l’animateur de foule narcissique, la veille « cougar »). En effet, on les explore sous de nouvelles facettes à travers des interactions insolites, les assimilant complètement à l’univers surréaliste.

La révolution contre le régime en place qui est d’abord absente, puis en toile de fond, pour finalement devenir un élément important de l’intrigue ainsi que la quête involontaire de Mike vers le nirvana à travers sa gloutonnerie sont deux histoires au potentiel engagé fort, mais elles disparaissent derrière l’esthétique excentrique. En effet, il est inconcevable d’analyser les enjeux présentés tout en étant bombardés d’éléments tellement inusités qu’ils en deviennent cocasses. Parmi ces artifices, on retrouve la pieuvre, un concept fascinant par sa présence transcendante, mais qui détourne notre attention des thématiques importantes.

Somme toute, All You Can Eat Buddha est un film riche en significations à la forme inventive, mais parfois tapageuse. Peu de spectateurs ressortiront de cette expérience avec une réaction qui dépasse l’étonnement ou l’amusement, mais le film offre tout de même un potentiel d’analyse plus approfondie à celui qui voudra bien s’y plonger. Rafraichissant et audacieux, All You Can Eat Buddha ouvre l’appétit pour la prochaine proposition loufoque d’Ian Lagarde.