Comédie - VO
De Bruno Dumont Avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi France-Allemagne. 2016. 123 min. (G – Déconseillé aux jeunes enfants)
Été 1910, Baie de la Slack dans le Nord de la France. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région. L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy (mal) mènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au cœur d'une étrange et dévorante histoire d'amour entre Ma Loute, fils ainé d'une famille de pêcheurs aux mœurs bien particulières, et Billie, de la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois décadents.
« Ma Loute fait souffler un véritable vent de folie. La comédie déjantée de Bruno Dumont fait mouche grâce à des performances foldingues de la grande Juliette Binoche et de l'excentrique Fabrice Luchini. » (Le Soleil)
À propos du film par David Lamontagne, professeur de cinéma au Collège Montmorency
Le malaise est hors norme
L’histoire commence en 1999, à Cannes, au moment où le jury présidé par le cinéaste canadien David Cronenberg décerne son Grand prix à un film intitulé L’Humanité, réalisé par Bruno Dumont, et ses prix d’interprétation aux deux non-acteurs professionnels de ce même film. L’indignation n’avait jamais atteint des sommets aussi grands. Pour certains, on venait de célébrer une forme d’amateurisme dans le cadre du plus prestigieux des festivals de la planète. Depuis, le cinéaste récipiendaire persiste et signe avec des films austères et difficiles qui racontent la vie d’habitants modestes du nord de la France. L’an dernier pourtant, la formule a changé.
Juliette Binoche et Fabrice Luchini chez Bruno Dumont, voilà qui ne manque pas d’attiser la curiosité. Deux monstres sacrés du cinéma français chez le créateur de l’ordinaire hors norme. En plus, Ma Loute est une comédie colorée ce qui n’est pas coutume chez ce cinéaste qui, de façon générale, met en scène sans timing, et avec beaucoup de lenteur, dans un cadre plutôt naturaliste et gris. Ma Loute est burlesque, étrange, coloré, filmé en costume d’époque et traité sous forme d’enquête policière. Qu’à cela ne tienne, ce film est très réjouissant dans son mélange des genres. Un des films les plus originaux à être apparu sur nos écrans ces dernières années.
L’intrigue suit un duo de policiers à la Laurel et Hardy qui est à la recherche des responsables de nombreuses disparitions dans un décor de carte postale du nord de la France. Nous sommes en 1910. S’opposent une riche famille bourgeoise tordue et une classe de paysans, nobles représentants du prolétariat. Ceux-ci mangent du bourgeois, littéralement, ce qui ne manque pas de provoquer quelques sourires tant le grotesque tombe dans une sorte de décalage jouissif. Pourtant, rien de facile ni de gratuit dans cette figure de style. Le tout baigne dans un ensemble de réflexions qui sont même plutôt en concordances avec notre époque. Seront traité l’aspect consanguin des élites socioéconomiques, le caractère désœuvré des classes paupérisées, des thèmes comme l’hypocrisie, l’innocence, l’insouciance, la perte du sens moral et … la question du genre particulièrement en vogue aujourd’hui. Cette comédie questionne effectivement la catégorisation en nuance de la masculinité et de la féminité.
Tout cela fonctionne bien parce que la forme du film (d)étonne. En opposant des acteurs professionnels qui sont des stars reconnus à des personnages joués par des non-acteurs, les situations ne peuvent que provoquer une sorte de malaise comique. Jamais la proposition de Dumont de jouer avec l’amateurisme de la performance des acteurs n’a atteint cet esprit de vérité. Le spectateur qui n’est pas habitué à ce qu’on lui rappelle la fausse nature de vraisemblance du cinéma de fiction ne peut qu’être déstabilisé. De plus, en ayant la propension à vouloir se moquer des maladresses des non-acteurs choisis le plus souvent pour leur tronche aux traits grossiers, on finit ici par les humaniser, les magnifier. Il y a une sorte de glissement d’une approche stylistique hermétique vers un caractère burlesque proprement fellinien. Les références au cinéaste italien abondent dans Ma Loute.
Ma Loute fait partie de ces films qu’on garde en tête longtemps. Il dérangera c’est certain. Il procurera tout de même un grand moment de cinéma construit par des images ayant une grande portée et des situations comiques plus triviales. Le genre d’expérience qui allie l’iconoclasme et le respect des traditions.
Ma Loute peut être drôle mais pas très aimable.